J'ai
grandi avec la guerre 14. -Non ! - Je n'ai pas été dans les
tranchées, mais même après une seconde guerre mondiale, dans les
années soixante il y avait encore des traces de la première, des
gueules de l'époque, des jambes en moins. Dans l'église sur le côté
de la nef, dans le village de mes grands parents dans l'Est de la
France, il y avait la liste des morts. Elle était longue, sur deux
colonnes. C'était des noms connus, des noms des gens du village avec
des prénoms démodés Gaston-Roger-Eugène-Emile-Gontrand... et il
y avait une liste aussi longue dans le village d'à côté et une
autre dans le village un peu plus loin. Dans le bureau de mon
grand-père il y avait la photo de son cousin en canotier, avec une
médaille militaire, et son propre casque bleu. Il avait été
incorporé en 1918 à 18 ans, et avait failli mourir de la grippe
espagnole. Moi, ado je voulais être Guynemer... Inutile de préciser
que j'étais un peu décalé à la fin des années Salut les copains.
« La Madelon et San Francisco dans la tête ».... Je ne sais pas ce qui me
fascinait à l'époque: le courage de ces gars, leur abnégation,
leur résignation ou l'absurdité de ce carnage. J'ai compris depuis
que ceux qui décident de faire la guerre, et ceux qui la font sont
rarement les mêmes, que les marchands de canons pleurent rarement
leur fils, que l'on fusille sans ambages ceux qui ont peur, mais
aussi que les combattants parlent de fraternité d'armes, un
sentiment né de la peur, du sang versé, des épreuves, et de
l'entraide. Le pire engendre le meilleur. Etrange.