lundi 27 avril 2020

DESSINER



Dessiner - Un des grands plaisirs oubliés de l'époque, comme l'art d'écrire. Celui là vient de loin, du fond des âges, des environs de Lascaux et des traces dans l'argile, la main reliée à l'oeil, l'oeil relié au cerveau, le coeur à distance. Pas de dessin d'après nature sans analyse. Pas de couleurs sans sensations, sans choix ni prise de risques. Dans votre besace de vagabond ou de solitaire confiné, des outils de pauvre:  un carnet, une feuille, quelques plumes, crayons, encres ou boite d'aquarelle, précieux compagnons du silence, remèdes essentiels à l'ennuiPablo, Vincent, Auguste, Francisco, Corbu, Cabu, Calvo... sont là. On les tutoie. Les doigts inventent le paysage, la femme nue, les deux chevaux dans le pré, la rue qui monte, le mot qui enflamme. La tache se fait mouche ou bourgeois au parapluie... En architecture, le gribouillis précède l'idée, la fait naître, et prend sa revanche sur l'image virtuelle aseptisée, parfaite et fabriquée. Paradoxe: vous voilà redevenu rare grâce à une spécialité délaissée. Pour être dans le coup. Soyez démodés - dessinez...



samedi 25 avril 2020

CHRISTOPHE



Le vieux dandy de Juvisy-sur-Orge s'en est allé dans un hôpital en Bretagne. L'air marin n'est pas toujours vivifiant pour les bronches. Chanteur Yéyé, puis chanteur à minettes, il aura bercé les premiers émois amoureux d'une génération. Ah, les mots bleus ! Mais plus intéressant Christophe aura su prendre le virage créatif. Look de vieux lion et voix cristalline revendiqués, ses trois derniers  albums sont aussi les plus beaux. Véritable testament "Comm' si la terre penchait" "Aimer ce que nous sommes" et "Vestiges du chaos" sont des écrins qui renferment des pépites. L'univers sonore réinventé se sert du déclin des corps, de la solitude, du vide à venir pour composer un opus original, pansement au pressentiment qui ronge... Si la grande vieillesse est souvent un naufrage, ce qui la précède peut être un accomplissement. Le dernier des Belivacqua en aura fait la preuve avant de rejoindre les paradis perdus. 
Mon fils m'a reproché de ne pas avoir écrit un texte lors de sa disparition. Il faut toujours écouter ses fils...

mardi 14 avril 2020

LA VIE D'ARTISTE


La plupart des peintres, dessinateurs, écrivains, graphistes, sculpteurs et plasticiens... vous le diront. Le confinement imposé ne change pas grand chose à leur vie. Confinés d'ordinaire du fait de leur activité, face à leur toile, leur page blanche, leur ordinateur, leur sellette... ils rencontrent au quotidien peu de monde. Seuls les visites aux amis, les apéros ou expositions  sont interdits depuis un mois, mais  les réseaux sociaux, le téléphone, les films et vidéos ou les promenades solitaires pallient à ce manque. Armés contre l'ennui qui fait partie de leur ordinaire, ils vivent sans trop de dommage cette introspection forcée pouvant même entrevoir cette parenthèse comme une période de liberté, et ce malgré l'absence totale de subsides... 
Etrange paradoxe d'un exil social rendu visible.

PS: Qu'en est-il des musiciens dont la pratique passe par la répétition, le concert, le boeuf ...? Je l'ignore. Les compositeurs s'en sortent sans doute mieux. Petit rappel: les plasticiens sont exclus du régime de l'intermittence et donc sans ressource durant cette période.

dimanche 5 avril 2020

REQUIEM POUR UNE PANDÉMIE


Peut-être le franc-maçon Mozart a t-il écrit cette oeuvre pour lui même? Toujours est-il qu'il ne l'a pas terminée... Joseph Eybler et Franz Xaver Sübmayr s'en sont chargés. La mise en scène de Raphael Pichon et Romeo Castelluci nous offre une version saisissante de son requiem. C'était à Aix en 2019. C'est sur Arte concert aujourd'hui. Tandis que s'égrènent sur le mur les noms de centaines d' espèces,  animaux, peuples, villes, religions, bâtiments, oeuvres d'art.... disparus -comme un rappel de l'irrémédiable et du gâchis parcouru; des choristes jeunes et moins jeunes offrent des tableaux spectaculaires -entre vision chrétienne et fête païenne, entre ode à la vie et terreur de la mort, entre danse folklorique et ultime danse macabre. Une vieille femme est engloutie dans son lit, une fillette maculée de pigments est suspendue sur un mur, un garçonnet joue au ballon avec un crâne, de jeunes parques dansent... La blancheur immaculée du plateau de scène initial, redressé, souillé par la terre, les peintures et déjections se mue en une immense toile putride. Hommes et femmes sont nus. Tableau final. 
Pour les latinistes - "requiem" est la forme à l'accusatif de requies qui signifie repos. Accusatif: le ton convient aussi à l'humanité qui malgré son génie, envisage et programme sa propre disparition et la destruction systématique du monde. Prenons soin de tout et de tous, de nos proches et de notre environnement avant que le gouffre ne nous engloutisse à notre tour, dans une facultative "dies irae" et un "lacrimosa" général. Bon post pour un dimanche de confinement, non?