samedi 8 mai 2021

IÉNA

 


Aucune guerre n'est "fraîche et joyeuse", aucune bataille n'est glorieuse sauf pour ceux qui ne les font pas. Mais, l'heure est à la commémoration. Arcole, Austerlitz, Waterloo... tout le monde connait. Iéna est moins célèbre. Pourtant, la défaite de la Prusse est "kolossale"... Elle nous le fera payer cher plus tard. Son armée professionnelle (180000 hommes) passe alors pour être la plus puissante d'Europe, héritière de  celle du grand Frédéric II. "Pas besoin de sabres, les gourdins suffiront pour ces chiens de Français" clament Frédéric-Guillaume III de Prusse et sa belle compagne Louise qui voient d'un mauvais œil ce petit général corse fonder la confédération germanique. Or leurs régiments sont dépassés, trop gros, trop lents, approvisionnés par des magasins, menés par de vieux généraux emperruqués... Bref ! Napoléon et sa clique de maréchaux aguerris de 37 ans (pour la plupart franc-maçons), son armée de conscrits mettent tout le monde d'accord le 1er octobre 1806 battant l'arrière garde, tandis que le véritable vainqueur Davout enfonce le clou à Auerstaedt à un contre deux. Un mois plus tard, l'armée prussienne est à genoux, tétanisant et fascinant l'élite et le peuple allemand... Ce sentiment ambigu entre modèle et repoussoir, saupoudré de francophobie et de libéralisme politique favorisera l'unité allemande. "Sans Iéna pas de Sedan" selon Bismarck. Or la guerre nourrit la guerre... sans Sedan pas de Verdun, sans Verdun pas de Hitler etc... Je livre à la perplexité de ceux que ce culte impérial exaspère ces deux citations. La première est de Hegel, inspiré  dans "sa fin de l'Histoire"  par le défilé des vainqueurs sous ses fenêtres /"J'ai vu l'Empereur -cette âme du monde- sortir de la ville en reconnaissance; c'est effectivement une sensation merveilleuse de voir un pareil individu qui, concentré en un point, assis sur un cheval, s'étend sur le monde et le domine". La seconde gravée sur le monument au pied du champ de bataille est de Golo Mann (fils de Thomas) /"Pendant plus d'un siècle, l'Allemagne s'est nourrie d'une grande haine et d'une encore plus grande admiration pour Napoléon."  Goethe verra son entrevue avec l'empereur comme le "diamant de son orgueil". Décidément les intellectuels et les peuples sont complexes.