La
Demeure du Chaos est un ancien temple protestant devenu relais de
poste au XVIIe siècle. Il est situé sur un parc de 12000m2 à
Saint-Romain-au-Mont-D'or en banlieue nord de Lyon. Son propriétaire
Thierry Erhmann l'a entièrement remanié et déstructuré depuis
1999 date de sa vision artistico-mystique pour en faire un lieu
d'exposition et d' animation théâtrale. Inspiré d'un décor
post-apocalypse jonché de débris: voitures calcinées, carcasse
d'hélicoptère, toits éventrés, ruines, poutrelles, tags et
constellés de portraits divers: Ben-Laden, le Dalaï lama, Fidel
Castro, Jean Ferrat... Il accueille gratuitement 100000 personnes
par an selon l'artiste. N'ayant demandé aucune autorisation pour
réaliser ce qu'il considère comme une œuvre d'Art, celui ci a été
mis en demeure de restituer le lieu et les façades d'origine. La
bataille entre les riverains, la municipalité, la justice et
l'artiste continue malgré la condamnation de ce dernier.
Ce
procès pose à nouveau les questions: qu'est ce qu'une œuvre
d'art? qui est artiste? qui est juge en la matière? Chacun trouvera
sa réponse, en se remémorant l'affaire Brancusi, Duchamp, le
Palais du facteur Cheval, l'art brut, ou son voisin de palier qui
«barbouille»...
-Difficile de trancher-
Vous
aurez compris que nous sommes davantage ici en matière d'art et de style dans
le "train fantôme du Chaos" que dans la cour du Palais des Papes à
Avignon, même si dans les deux cas la nuit et les fumigènes
renforcent l'oeuvre...
-Je
vous livre deux réflexions-
Cette
esthétique de la chute, de l'après catastrophe sur fond
d'ésotérisme, de salamandre, de transmutation me touche moins au
final - car plus calculée- que la folie poétique et solitaire du
facteur Cheval à Hauterives.
De
même son créateur me bouleverse moins que le «pauvre fou» à la
brouette dont il se réclame pourtant. Je le sens plus proche d'un
Andy Warhol fabriquant dans sa Factory des happening au service de
sa propre image.
Ici
même la crucifixion du démiurge un tantinet cabot semble enrichir
le scénario. Mais peu importe. Ce lieu existe. Il est fort. Si les
riverains soucieux de beauté et de règlement alliés aux
pouvoirs publics veulent me convaincre de la légitimité de sa
destruction, ils devront d'abord me persuader du caractère
intemporel de leurs pavillons merdiques qui assassinent le paysage.
L'administration détentrice du bon gout devra se justifier sur ses
avis favorables qui l'ont laissé en toute légalité défigurer nos
villes, nos campagnes le littoral tout au long du siècle dernier. Un
chaos peut en cacher un autre.