lundi 19 novembre 2018

LE CHEMIN DES DAMES






Quand j’étais enfant, mon père avait acheté en province la maison d’un ancien poilu, avec meubles, linges et effets. Je jouais avec sa vareuse mitée et son fusil cassé. A 8 ans j’entrevis que l’armistice de 1918 n’était pas si éloignée de ma naissance.  A Paris on croisait encore des gueules cassées vendant des billets de la Loterie Nationale.
Adolescent, je dévorais les vieux numéros de I'Illustration, Dorgelès, Barbusse ou Genevoix, Henri Bordeaux et la vie héroïque de Guynemer... Je collectionnais les baïonnettes, les épaulettes, les casques. J’étais d’un autre siècle. La fin glorieuse était une option. 
Vint la puberté et sa pulsion de vie. Le nouveau paquetage arriva: Mobylette, Echo des Savanes, poster de la page centrale de Lui, René Fallet et le fol espoir des filles... Mon Chemin des Dames prenait un tournant. Je laissais s’envoler les morts en bandes molletières ou en casque à pointe.*
Je les connais ces damnés de 130 ans, inutiles cadavres , tricolores trépanés. Je les aime mais ils ne font plus partie de ma fantasmagorie guerrière. La Loterie Nationale s'est faite Française des Jeux. La Der des Der a fait des petits... D’autres massacres ont eu lieu et d’autres viendront. Je me bats pour qu’ils n’adviennent pas avec mes plumes et mes encres. A chacun ses armes et son ciel de gloire.

* En réalité ils sont toujours là puisque j'écris aujourd'hui ce post...