Surprenante, la superposition de ces trois ombres ! Celle de Savinien de Cyrano de Bergerac, libertin du XVIIème, savant, écrivain, polémiste, bretteur, vraisemblablement homosexuel - Celle de Cyrano de Bergerac, héros picaresque au grand nez, amoureux transi de Roxane, grand esprit au grand cœur qui meurt enfin dévoilé dans les bras de son amour inavoué - Celle d'Edmond Rostand qui lui donne vie et réplique dans sa pièce en vers qui va devenir un chef d'œuvre incontournable du répertoire français. L'auteur jusqu'alors méprisé devient à 29 ans en quelques heures, le poète officiel de la troisième république après la première en 1897 au Théâtre de la Porte Saint Martin. La France de la tour Eiffel, du cinéma naissant, de la colonisation, de l'affaire Dreyfus, se remet mal de la défaite de 70. Le héros gascon (en réalité de Chevreuse) lui rend son panache et sa fierté. Une réalité m'effleure. Pour s'incarner, rester dans les mémoires ne serait-ce que sous la forme d'un alexandrin, atteindre comme d'autres l'inaccessible étoile, être celui - "qui fut tout et qui ne fut rien"... Mieux vaut s'y mettre à plusieurs !