samedi 11 juin 2022

NE CHANGEZ PAS DEBORD

1967- Quelques mois avant les évènements de mai 68, en pleine Trente Glorieuses -Guy Debord- pressent la métamorphose de la société, plus qu'il ne la théorise, dans son ouvrage "La société du spectacle". Soixante dix ans plus tard, la société a continué sa marche...  La fusion économico-étatique, le présent perpétuel, l'Individualisme, le vedettariat, l' ambition et  la domination, l'identification à la marchandise, la supercherie  triomphent... la mise en scène de soi même, la téléréalité, les réseaux sociaux en sont les signes les plus visibles.  A la fois fascinés par nos images et moutons bêlants du capitalisme nous sommes devenus les acteurs consentants d'une comédie sociale, d'un monde représenté qui remplace le monde réel, d'une majorité passive face à une minorité active. Même s'il n'a pas changé l'ordre des choses, Debord a eu raison. Le personnage est singulier. Charmeur, subversif, anti artiste, qui réalise une oeuvre de collages dans ses films, il prend la pose. Etre "Situ" c'est faire parti du monde de l'art tout en le méprisant. Jouisseur, joueur, amoureux de la fête et des très jeunes filles, le créateur du lettrisme puis du situationnisme international veut inventer sa vie plus que la subir, faire sa propre histoire, créer son style. Être contrasté, à la fois élixir de mai 68, mais fasciné par la guerre, amoureux des soldats de plomb, de Machiavel, Bossuet, du Cardinal de Retz, Ducasse, Clausewitz ... et des riches mécènes il réalise son credo: "Ne travaillez jamais". Devenu alcoolique assumé,  (qui engendre à son tour un cortège d'alcooliques acariâtres !) il se suicide en 94. Ses cendres dispersées depuis le square du Vert Galant à Paris, au pied du bûcher des templiers, doivent être arrivées au Havre depuis belle lurette ! Pied de nez de l'Histoire: celui qui a déclaré la guerre à la société et aux institutions est adulé des institutions. Le long et beau palindrome* "In girum imus nocte et consumimur igni" qui est aussi le titre d'un de ses films, illustre sa fin et la nôtre :  "Nous tournons en rond dans la nuit et nous sommes dévorés par le feu". Prémonitoire, non ?

 *Palindrome. Se dit d'un mot, d'un vers; d'une phrase que l'on peut lire indifféremment de gauche à droite ou de droite à gauche. ( Ex: Esope reste ici et se repose)