A l'orée de mes douze ans - et ce durant plusieurs étés, j'ai monopolisé le tourne-disque de ma grand mère, ainsi qu'une pile de disques hétéroclites. En ritournelle, les Compagnons de la chanson succédaient à Nana Mouskouri, les chants d'Europe centrale aux chansons à boire du folklore bourguignon, Gilles Douai à Beethoven. Le concerto pour piano n°5 dit de "l'Empereur" que dans mon enthousiasme j'avais affecté au petit corse, m'emportait dans son souffle épique. A l'époque le soleil d'Austerlitz m'apparaissait comme le décor indépassable de l'héroïsme et du génie militaire. Peut-être du génie tout court... Puis dans le creuset incandescent de l'adolescence, j'ai fondu d'autres musiques, d'autres lectures, d'autres idées moins martiales: Lupin, René Fallet, Jonasz, Mauriac, Saint-Exupéry, Manset, Ferré... J'ai changé sans changer vraiment. J'ai appris sur la surdité de Beethoven, le calvaire quasi christique, l'incapacité à l'amour conjugal, le caractère sombre, le neveu difficile... Je lui garde une admiration sans bornes. Celui là est mort en sachant qu'il laissait une musique éternelle, moderne... oserais-je dire -impériale ? En tout cas flamboyante : "Allegro ma non troppo".