Avril 1918. Louis Aragon incorporé un an plus tôt au Val de Grâce devient médecin aux armées. Il a 21 ans et rejoint en juin son unité dans l'Oise pour la deuxième bataille de la Marne. Enseveli à plusieurs reprises dans un bombardement alors qu'il soigne ses hommes, il est donné pour mort : papiers, lettre, vareuse... ont été retrouvées sur la dépouille d'un de ses camarades. Peu après il tombe sur sa propre sépulture dans un cimetière provisoire. On prend les moyens que l'on peut pour retrouver son chemin quand les blessures de l'histoire et de l'état civil s'ingénient à vous perdre. Mort avant l'heure - non reconnu à sa naissance par Louis Andrieux son père biologique, grand bourgeois, ex préfet de police et franc-maçon - et enfin confronté aux horreurs de la guerre Aragon choisira d'être dadaïste, poète, surréaliste, communiste... Celui qui pensait faire partie d'une génération sacrifiée par ses pères tentera d'oublier dans les mots et dans les yeux d'Elsa que les vivants de ce siècle étaient devenus les spectres des morts.
« Il y avait devant la croix fichée en terre une bouteille
Dedans une lettre roulée à mon adresse Etait-ce vrai
Si c’était moi Si j’étais mort Si c’était l’enfer Tout serait
Mensonge illusion moi-même et toute mon histoire après
Tout ce qui fut l’Histoire un jeu de l’enfer un jeu du sommeil
Comme s’explique alors ce sentiment d’une longue agonie
Et ma vie et le monde et qui pourrait encore y croire
Tout ceci n’était que l’enfer qui jongle devant son miroir
Je suis mort en août mil neuf cent dix-huit sur ce coin de terroir
Ca va faire pour moi bientôt trente-huit ans que tout est fini. »