mercredi 18 décembre 2013

MERIMEE, LES TAUREAUX , SAINT AUGUSTIN ET NOUS ...


















Avec quelle lucidité le vieux Mérimée se regarde regarder les corridas, comme Saint Augustin assiste hypnotisé à la mort des gladiateurs dans le cirque, et comme nous regardons au journal de 20 heures les tueries quotidiennes. La seule différence -peut-être - est que nous n'y prêtons plus attention: trop de pain ou trop de jeux !?... Je n'avais jamais remarqué à quel point une arène ressemble à une pièce d'or et ainsi au soleil. Les combattants s'y brulent; de nouvelles taches apparaissent sur le sable, une énergie s'en libère. Les empereurs Aurélien puis Constantin avaient tenté d'imposer le culte unique de "Sol Invictus" dont le Dies Natalis Solis (jour de naissance du soleil. Natalis-Noël) célébrait le 25 décembre. Ce culte fut surtout vivace dans le milieu militaire. Tout ceci est très étrange.
                                                        
... Les étrangers, qui n’entrent dans le cirque la première fois qu’avec une certaine horreur, et seulement afin de s’acquitter en conscience des devoirs de voyageur, les étrangers, dis-je, se passionnent bientôt pour les courses de taureaux autant que les Espagnols eux-mêmes. Il faut en convenir, à la honte de...





l’humanité, la guerre avec toutes ses horreurs a des charmes extraordinaires, surtout pour ceux qui la contemplent à l’abri. Saint Augustin raconte que dans sa jeunesse il avait une répugnance extrême pour les combats de gladiateurs, qu’il n’avait jamais vus. Forcé par un de ses amis de l’accompagner à une de ces pompeuses boucheries, il s’était juré à lui-même de fermer les yeux pendant tout le temps de la représentation. D’abord il tint assez bien sa promesse, et s’efforça de penser à autre chose ; mais à un cri que poussa tout le peuple en voyant tomber un gladiateur célèbre, il ouvrit les yeux ; il les ouvrit, et ne put les refermer. Depuis lors, et jusqu’à sa conversion, il fut un des amateurs les plus passionnés des jeux du cirque. Après un aussi grand saint, j’ai honte de me citer ; pourtant vous savez que je n’ai pas les goûts d’un anthropophage. La première fois que j’entrai dans le cirque de Madrid, je craignis de ne pouvoir supporter la vue du sang que l’on y fait libéralement couler ; je craignais surtout que ma sensibilité, dont je me défiais, ne me rendit ridicule devant les amateurs endurcis qui m’avaient donné une place dans leur loge. Il n’en fut rien. Le premier taureau qui parut fut tué ; je ne pensai plus à sortir. Deux heures s’écoulèrent sans le moindre en entracte, et je n’étais pas encore fatigué. Aucune tragédie au monde ne m’avait intéressé à ce point. Pendant mon séjour en Espagne, je n’ai pas manqué un seul combat, et, je l’avoue en rougissant, je préfère les combats à mort a ceux où l’on se contente de harceler des taureaux qui portent des boules à l’extrémité de leurs cornes. Il y a la même différence qu’entre les combats à outrance et les tournois à lances mornées. Pourtant les deux espèces de courses se ressemblent beaucoup ; seulement dans la seconde le danger pour les hommes est presque nul...          
Lettres d'Espagne.  Lettre III ( extrait).   Les combats de taureaux - 1830-  Prosper Mérimée