vendredi 15 février 2013

LETTRE A DANIEL BERESNIAK

 


Mon très cher frère, tu es passé à l'Orient Eternel en 2005. Ma lettre de compagnon te distraira peut-être un peu. Il faut parler avec les morts, qui s'ennuient. J'ai été interpellé par un extrait de ton livre «Le gai savoir des bâtisseurs» mis en ligne par un confrère dans son blog «De Midi à Minuit». Tu y développes une thèse sur le véritable état d'esprit des bâtisseurs. Architecte moi-même, je me permets d'apporter de l'eau à ton moulin ainsi qu'un éclairage différent sur un point. N'en prends pas ombrage... 


-Oui, nous vivons une époque timorée en matière d' architecture, dans l'hexagone tout du moins. L'exercice de notre métier est tiraillé par plusieurs désirs ou pouvoirs antagonistes.
Notre rôle de maitre d'oeuvre  est de créer, d'innover. Il est contrarié par le corps des Bâtiments de France  qui s'efforce d' être le gardien du temple du patrimoine et de préserver à tout prix. Le maître d'ouvrage enfin cherche sa vérité tiraillé entre son budget et ses aspirations. Ses gouts «éclectiques» le font souvent hésiter entre contemporain et pastiche de l'ancien. Les pavillonneurs, promoteurs, auto-constructeurs font le reste.
-J’acquiesce quand tu affirmes que les admirateurs de cathédrales et des formes anciennes sont souvent des conservateurs nostalgiques et passéistes.
Les descendants des bâtisseurs sont ceux qui transgressent avec joie et bonne humeur les règles et les canons. A leur décharge, les frileux ont vu tant d'horreurs qu'ils se rassurent avec des formes connues . Notre époque et sa soif de liberté, sans foi ni valeurs, autres que celle de l'originalité, de la démesure, et du fric a malheureusement engendré une grande laideur architecturale et un urbanisme incertain.
- J'en arrive au désaccord. Détruire sans ambages serait pour toi une preuve de vitalité. N'y a t-il pas un peu de provocation? Ainsi, il faudrait raser les cathédrales, repeindre sur Lascaux et la Sixtine, mettre à bas Stonehendge, vitrioler les châteaux de la Loire, …. Pour quoi faire? Nous retrouver un peuple sans histoire et sans traces. C'est la tentative de destruction -heureusement déjouée- des manuscrits africains par les incultes de Tombouctou; c'est la théorie de Corbu (paix à son âme!) à Paris avec son plan Voisin. C'est le rêve fou de Ceaucescu dans le vieux Bucarest. Cette politique de la ville brulée est une politique de barbare, qui refuse tout ce qui a existé avant elle. La Renaissance n'a vu dans le médiéval que du «gothique» de l'Ostrogoth, du has-been!
-Je te propose une troisième voie, la sédimentation, où l'on ne garde de son époque que le meilleur, qui cohabite avec le meilleur du passé -sans révérence exagérée- et le meilleur à venir. Les jeunes côtoieront ainsi les anciens, les cubes de verre tutoieront les cathédrales, Bach revisitera des standards rocks ou techno, ou l'inverse. On en prendra plein les yeux et les oreilles.
-Je te souhaite un séjour agréable dans l'au-delà maçonnique. Je t'envoie un salut fraternel et te donne l'adresse de sites créatifs. Si vous avez internet là haut, ils te tiendront éveillé et te rassureront. Les choses ne sont pas toujours aussi figées qu'on les imagine.



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